Rapport sur l’éducation dans les prisons en Afrique

Oumar Ndongo
Membre du Comité scientifique de la Chaire UNESCO
Maître de conférences à l’université Cheikh Anta Diop, Dakar, République du Sénégal

La situation de l’éducation dans les prisons africaines ne peut se concevoir sans parler de la précarité à lier aux problèmes de développement du continent. Comment imaginer un système éducatif performant dans les prisons si les États africains eux-mêmes ont beaucoup de difficultés à assurer le bien-être des populations dans divers secteurs de la vie nationale? Ces difficultés sont encore plus visibles dans le secteur de l’éducation et de la formation.

En fait, historiquement, le milieu carcéral a une résonnance particulière dans l’esprit de beaucoup d’Africains. Pour nombre d’entre eux, les personnes qui se retrouvent dans les lieux de détention font souvent l’objet d’une stigmatisation qui les présente comme des parias dont la réinsertion offre peu d’intérêt. C’est peut être exagéré de présenter le problème sous la forme d’un rejet total de cette catégorie d’individus, mais l’idée selon laquelle la personne en prison a perdu non seulement son honneur, mais a également souillé celui de sa famille et de sa communauté, est réelle. À partir de ce moment, la prison apparaît comme un espace à part, non seulement de privation de la liberté, mais aussi et surtout d’exclusion de la communauté et des activités liées à la vie dans celle-ci. Il est donc possible de comprendre cette perception de l’espace carcéral quand on examine la société traditionnelle africaine qui peut trouver d’autres moyens de traiter ses membres qui ont, délibérément, choisi de se mettre en marge de ses règles de fonctionnement. On peut même dire que les prisons comme nous les connaissons actuellement ne sont pas des institutions visibles dans les sociétés traditionnelles qui ont des réponses aux situations de comportement délictuel. Ainsi, la construction de prisons pourrait aussi apparaître comme une réalité coloniale à laquelle nombre de communautés ont du mal à s’adapter.

Les États africains ont enregistré de nombreux progrès dans la prise en charge des questions de réinsertion sociale des détenus à l’expiration de leurs peines. C’est à cet effet qu’au plan sémantique, on note depuis une vingtaine d’années l’abandon du vocable « prison » pour des termes plus socialisants tels que « la maison d’arrêt et d’éducation » ou « la maison de rééducation » pour dire que le moment de détention est une parenthèse dans la vie, mais que celle-ci devra prendre fin pour permettre à la personne de retrouver sa place dans la société et vivre sans risque de récidive. Le suivi des conditions de vie dans les prisons en Afrique semble être mieux structuré dans les pays anglophones où l’institution parlementaire se rend plus régulièrement dans les prisons et exerce son rôle de supervision de l’activité gouvernementale dans ce domaine. Des manquements relatifs à la prise en charge de volet réinsertion sont relevés afin de susciter des correctifs appropriés par les services compétents.

Pour parler plus précisément de la formation dans les prisons, on note que deux aspects retiennent l’attention: la formation professionnelle et le développement personnel. Il apparaît très clairement que le manque de qualification est un facteur important de perte de repères qui pousse l’individu à des actes répréhensibles dont l’issue est l’incarcération. Par ailleurs, il est aussi admis que ceux qui se livrent à des actes qui conduisent vers les prisons sont des personnes dont le développement personnel est très faible. En fait, ce sont des personnes qui n’ont pas bénéficié d’un encadrement émotionnel et social adéquat pour renforcer leur processus de maturation personnelle.

C’est en raison de ce constat que les projets d’éducation en Afrique, au Sénégal de manière particulière, sont orientés vers l’alphabétisation fonctionnelle pour permettre aux personnes dans les prisons d’apprendre à lire et à écrire dans l’espoir que cette formation permettra de s’insérer dans la société par l’acquisition d’emplois tels que le gardiennage et autres emplois ne nécessitant pas des études poussées. À côté de cette formation permettant de parler et d’écrire soit l’anglais ou le français, qui sont les langues des administrations formelles étatiques ou privées, il y a la formation professionnelle dans les corps de métier tels que la maçonnerie, la menuiserie, etc. C’est certainement le type de formation le plus important en matière d’éducation dans les prisons. Il est admis qu’une fois la qualification assurée, le détenu pourra valablement retrouver sa dignité en gagnant sa vie à la sueur de son front. Dans les prisons sénégalaises, il est fréquent de voir les détenus se livrer à la confection d’œuvres d’art que l’administration pénitentiaire encourage par la vente des objets d’art et la collecte des fonds qui vont servir à la reconversion du détenu une fois sorti des liens de la détention. Beaucoup de personnes utilisent le contexte de la prison pour découvrir leur talent. L’art est particulièrement le domaine de prédilection des personnes dans les prisons. Cela se comprend par les idées que le contexte carcéral produit et la découverte de la vocation qu’il occasionne.

En ce qui concerne le développement personnel, il est communément admis que la maîtrise des principes religieux et moraux est un gage de contrôle de soi et de bonne conduite envers les concitoyens. Des mécènes se signalent çà et là pour assurer une formation coranique à un groupe de détenus dans l’espoir de les voir s’imprégner davantage des règles de conduite édictées par la société musulmane majoritaire dans un État, comme c’est le cas au Sénégal. On peut noter des changements importants dans le comportement des détenus. On observe une plus grande sagesse et une capacité insoupçonnée de résister aux nombreuses tentations de la société une fois le détenu imprégné des valeurs de la communauté.

De nos jours, l’éducation dans les prisons est de plus en plus traitée comme une question importante pour freiner la violence dans les villes. La catégorie la plus touchée est évidemment la jeunesse et cela se comprend par la faiblesse du système scolaire et universitaire, le manque de perspective pour l’emploi et le désespoir que cela engendre, la corruption et l’arrogance des élites. Tous ces manquements sont des facteurs favorisant le surpeuplement dans les prisons, rendant peu efficient tout système de formation mis en place. Les écoles mettent dans la rue un grand nombre de jeunes peu scolarisés et prêts à utiliser la rue pour s’adonner à des actes délictuels.

Réagissant aux développements faits par les collègues du Comité scientifique de la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison, nos préoccupations semblent très différentes de celles qu’ils ont développées. Pendant que nos collègues des États-Unis, des pays européens et même ceux de l’Amérique latine travaillent déjà sur des modèles qui reposent sur de longues traditions, en Afrique, le combat est toujours au niveau des droits humains, c’est-à-dire, axé sur les conditions de détention, la complexité des procédures et la longueur des processus du système judiciaire. Quand les détentions préventives dépassent quatre ou cinq années, il est difficile de voir comme priorité la question liée à l’éducation dans les prisons. Mais force est de reconnaître son importance du fait des nombreux cas de récidive et de la précarité qui frappe la jeunesse face à la lancinante question de son employabilité. Les organisations de la société civile et les comités sociaux des parlements font des incursions dans ces espaces pour constater le grand écart entre ce que l’administration pénitentiaire dit faire et la réalité du terrain.

La recherche dans ce domaine présente un intérêt certain au regard de la marginalisation de la composante des personnes dans les prisons. Des programmes existent déjà pour prendre en charge la délinquance juvénile, mais très peu sont disponibles pour les adultes qui, non seulement ont besoin d’être éduqués pour retrouver leur dignité, mais aussi parce qu’il s’agit d’une catégorie qui a une responsabilité sociale affirmée. La non-prise en compte de ces aspects a un impact négatif inqualifiable pour l’équilibre de la communauté.

La perspective d’une rencontre de la Chaire UNESCO sur l’éducation dans les prisons aura un impact certain sur le continent africain. Le partage d’expériences permettra de mettre l’agenda de la prise en charge des détenus ou des personnes momentanément en conflit avec la loi au centre des préoccupations. Le problème qui semble être spécifique aux prisons africaines, c’est l’absence d’une recherche sérieuse sur les projets éducatifs en faveur de la population carcérale. Au sein des universités, très peu de départements s’intéressent à ce type de problématique. À l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal, seul un mémoire de maîtrise d’histoire traite des prisons sénégalaises. Toutefois, les actions pour la réinsertion sociale des détenus font l’objet d’une faible documentation. C’est donc dire que la conférence prévue par la Chaire UNESCO pour l’éducation dans les prisons permettra un déclic pour ces catégories marginalisées.