Éducation en prison en République Démocratique du Congo : Défis et stratégies

 

Professeur BANZA NSOMWE-A-NFUNKWA Eustache
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Université de Kinshasa
République Démocratique du Congo
Membre associé de la Chaire UNESCO

 

1. Introduction

L’éducation en prison en République démocratique du Congo demeure un mystère auprès de plusieurs personnes qui considèrent que les prisonniers n’ont aucun droit en matière d’éducation, de formation, de renforcement des capacités et d’accompagnement multisectoriel; et surtout à cause de l’absence quasi totale de textes instituant cette forme d’éducation dans ces milieux considérés par d’aucun de très sensibles, de haut risque et d’impénétrables.

Profitant du processus de mise au point de la stratégie sectorielle de l’éducation nationale en République démocratique du Congo, nous avons estimé bon de soulever l’épineux problème de l’éducation en prison en faveur des « laissés pour compte », qui du reste sont membres à part entière de notre société et peuvent contribuer tant soit peu à la promotion du bien-être communautaire, nonobstant leur situation actuelle.

Partant des observations, des visites de prison, des entretiens avec des responsables de prison et des membres de la société, nous avons décelé qu’il y avait un déficit d’informations chez certains et de l’ignorance chez les autres au sujet de l’éducation en prison et de son impact sur la quiétude commune.

Ce constat nous a poussés à chercher à comprendre en profondeur les défis qui entourent l’introduction de l’éducation en prison et dans la mesure du possible, mettre au point quelques stratégies pouvant faciliter cette innovation dans les prisons de la République démocratique du Congo.

2. Situation actuelle

Comme signalé ci-dessus, l’éducation en prison en République démocratique du Congo n’a pas encore vu le jour. Cependant, il sied de signaler que le moment est venu pour pouvoir défendre la cause de cette catégorie de personnes vulnérables, en privilégiant la voie de l’éducation ainsi que de leur réinsertion après la prison.

Par ailleurs, retenons que dans les prisons de la République démocratique du Congo en général et celles de la ville province de Kinshasa en particulier, se trouvent beaucoup de jeunes acteurs du banditisme urbain. Ces jeunes, dans la plupart des cas, se caractérisent par le fait qu’ils ont quitté l’école très tôt et sans certificats ou diplômes. Ils sont illettrés, ont connu des troubles d’apprentissage, proviennent de familles à problèmes et de milieux défavorisés, sont exposés à la drogue et vivent dans la rue après avoir été chassés de chez eux pour des raisons inavouées.

Ces enfants, dans la recherche de survie, s’adonnent à des pratiques inacceptables, jalonnées de violences extrêmes passant de l’extorsion des biens à la tuerie des personnes.

La police et les services spécialisés dans leur mission de protection de personnes et de leurs biens mettent la main sur ces jeunes qui, après toutes les procédures administratives et judiciaires, sont jetés en prison.

Conformément à la loi, une fois leurs peines purgées, ces enfants condamnés sont libérés et rentrent dans leurs milieux naturels avec toutes les conséquences frustrantes de départ et sont alors prêts à récidiver.

Pour quelques cas connus en République démocratique du Congo, certains jeunes ex- prisonniers racontent, à qui veut bien les entendre, qu’ils souhaitent bien retourner en prison, car du moins de ce côté-là, la bouffe est assurée.

Approchant quelques jeunes ex-prisonniers pour entretien, le constat est que la plupart des jeunes n’avaient aucune formation, aucun background pouvant leur permettre de bien pouvoir se trouver un boulot afin de se prendre en charge.

Nous avons également vite compris qu’il était vraiment temps pour que nous puissions scruter ce lien entre le manque d’éducation, l’absence d’emploi, la frustration et toutes les conséquences qui en découlent. En d’autres termes, une bonne éducation de qualité facilite l’emploi et augmente l’estime de soi, ce qui une fois satisfaits les besoins primaires, remet le jeune en position de développement.

Forts de cette conviction, nous avions pris la ferme décision de rencontrer le directeur responsable des prisons au ministère de justice pour introduire une demande officielle d’autorisation de recherche en prison.

Une réaction rapide et positive de la part du directeur responsable des prisons nous avait permis sans tarder de descendre dans la prison centrale de Makala (à Kinshasa), où un entretien fructueux avait eu lieu. De cet entretien, quelques données statistiques nous avaient été fournies concernant le nombre des prisonniers et les différentes catégories d’infraction pour les années 2006, 2007, 2008, 2009 (données bien dépassées, mais pouvant soutenir notre besoin en éducation en prison) et des défis avaient été relevés.

3. Données statistiques : nombre de prisonniers et catégories d’infraction

3.1. Nombre de prisonniers et catégories d’infraction : 2006

Année

Nombre des prisonniersCatégories d’infraction
 

 

2006

800

Viol

435

Vol qualifié

533

Vol simple

356

Escroquerie

876

Autres infractions

3.2. Nombre de prisonniers et catégories d’infraction : 2007

Année

Nombre des prisonniersCatégories d’infraction

2007

720

Viol

535

Vol qualifié

640

Vol simple

480

Escroquerie

1105

Autres infractions

3.3. Nombre de prisonniers et catégories d’infraction : 2008

Année

Nombre des prisonniersCatégories d’infraction

2008

847

Viol

535

Vol qualifié

670

Vol simple

450

Escroquerie

1698

Autres infractions

3.4 Nombre de prisonniers et catégories d’infraction : 2009

Année

Nombre des prisonniersCatégories d’infraction

2009

555

Viol

991

Vol qualifié

889

Vol simple

903

Escroquerie

1105

Autres infractions

Les données, contenues dans les quatre tableaux représentant respectivement les années 2006, 2007, 2008 et 2009, prouvent à suffisance le besoin d’accompagnement multisectoriel et multiforme de cette jeunesse, toujours en quête de survie et de satisfaction des besoins libidinaux.

4. Défis

Comme souligné plus haut, l’éducation en prison n’existe pas encore en République démocratique du Congo et son introduction est butée à plusieurs obstacles. À titre exemplatif : absence de textes officiels instituant et reconnaissant l’éducation dans les prisons congolaises, manque de personnel enseignant et administratif qualifié pour ce genre d’éducation, manque de programmes d’éducation en prison, manque d’infrastructures appropriées et d’environnement propice à l’éducation en prison, manque d’identification des besoins en éducation en prison, attitude passive et/ou négative envers l’éducation en prison, manque d’informations suffisantes sur l’éducation en prison, ignorance de l’importance de l’éducation en prison dans la communauté…

5. Stratégies

Pour une meilleure réussite de cette innovation dans un secteur aussi sensible qu’est la prison :

  • Nous avons opté pour une démarche impliquant tous les acteurs, à savoir le gouvernement, les scientifiques, la population, les prisonniers, etc.;
  • Nous avons amorcé un plaidoyer auprès du Gouvernement de la République Démocratique du Congo par le biais du ministère de l’Intérieur afin d’obtenir l’autorisation et les fonds nécessaires pour un premier travail d’état des lieux des prisons du pays;
  • Nous avons initié des rencontres avec des collègues professeurs des institutions d’enseignement supérieur et universitaire pour débattre de la question du banditisme urbain et de l’éducation en prison;
  • Nous avons commencé la sensibilisation de la population congolaise par le biais de la télévision;
  • Nous avons mené une enquête auprès des étudiants de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Kinshasa à ce sujet (résultats d’enquête bientôt) afin de les préparer à s’intéresser à ce secteur pour l’enseignement et la gestion.

6. Conclusion

L’éducation en prison en République démocratique du Congo n’existe pas encore, mais le plaidoyer est maintenant présent auprès des autorités gouvernementales, de la population et de tous les acteurs de la vie nationale. Nous espérons très bientôt que cette cause sera comprise et soutenue par tous et pour l’intérêt de tous, avant de passer aux étapes suivantes de cette longue marche vers l’introduction effective de cette éducation en prison et la considération positive des droits à l’éducation des marginalisés et des laissés pour compte, que sont les prisonniers.